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Les femmes, ces farouches guerrières

Elles ont veillé toute la nuit. Elles ont attendu que l’aube commence à éclairer le ciel. Lentement et sans faire de bruit, certaines ont pris leurs plus jeunes enfants et les ont serrés contre leur dos avec une large bande de tissu. Puis toutes se sont couvertes de leur grand châle. 

Elles ont ramassé leur ballot préparé la veille et se sont mises en route. Les pas sont lents. Les têtes restes baissées. Elles avancent en file indienne sans se parler, sans se regarder. Elles avancent droit devant elle comme si elles voulaient juste fuir le plus loin possible, sans se soucier de leur destination.

Leur destination, elles la connaissent. Elles vont là où elles pourront se rendre utiles et sauver les hommes du village. Les femmes ont compris qu’elles seules pourraient sauver leurs hommes, et par là même le village tout entier. Elles ont aussi compris qu’elles devaient agir dans le secret, tant l’honneur est fort chez ces hommes. S’ils avaient su, ils ne les auraient jamais laissées partir.

Elles avancent décidées, courbées sur leurs pensées. Elles n’auraient jamais pensé en arriver là. Leur vie leur semblait toute tracée, sans heurts, sans détours. Mais le sort en a décidé autrement. La guerre, puis les colères du ciel ont mis le village à genoux. Les hommes ont essayé de faire survivre leur famille, en vain. Ils sont revenus brisés des combats et n’ont pas eu assez de force pour mener celui contre la nature. Lentement les corps et les esprits se sont recroquevillés et chacun s’est replié sur le peu qu’il avait en espérant. Espérer quoi? et de qui? La main d’un dieu compatissant qui descendrait du ciel avec de la pluie et des récoltes? Seuls des hommes privés de leur raison par la guerre pouvaient regarder leurs enfants mourir en croyant à ce miracle. Les femmes, elles, avaient aussi dû survivre à la guerre sans leurs hommes. Les femmes, elles, savaient que la survie de chacun ne dépendait que de sa propre volonté et de ses propres actions. Pourtant, elles ont voulu y croire pour quelque temps. Elles ont voulu se reposer à nouveau sur les épaules de leurs hommes. Elles ont voulu leur redonner les rênes à leur retour des combats. Heureuses de les voir vivants. Mais elles ont vite compris que la guerre ne leur avait pas rendu leurs maris, mais les enveloppes de ces derniers. Ils en avaient les contours, la silhouette, mais plus rien de ce qui les faisait ne les habitait. Vides. Voilà ce qu’ils étaient. Vides, sans volonté et sans but. Tout justes bons à espérer... Alors elles s’étaient rassemblées. Ensemble, elles ont décidé qu’elles devaient agir. Elles seules étaient en mesure de sauver le village. Elles devaient reprendre le rôle tenu en l’absence des hommes. Elles devaient agir vite. Contrairement aux hommes, la guerre les avait dotées d’une force supplémentaire. Elles le savaient, et savaient que la guerre leur avait pris leurs hommes pour leur rendre des bouches à nourrir et des esprits à conforter. Alors elles devaient partir et se rendre là où il y avait du travail, là où elles pourraient acheter de quoi nourrir le village. Elles se sont organisées, seules les plus vaillantes sont parties, toutes les forces étaient nécessaires. Les plus fragiles ne devaient pas entreprendre un voyage qui pourrait les tuer, mais plutôt rester au village pour s’occuper des hommes et des enfants et pour organiser les ressources. Pour rassurer aussi. 

Seules vingt d’entre elles sont donc parties aux premières lueurs de l’aube. L’air est encore frais et elles se serrent dans leur châle. Celles qui portent un enfant le serrent aussi pour partager le peu de chaleur avec le petit être encore endormi, qui ne sait rien de ce qui est en train de se passer, mais qui prendra bientôt la mesure de la force de ces femmes. Elles avancent mues par cette volonté, que seules les femmes qui doivent lutter pour la survie des leurs peuvent avoir. Une volonté farouche et contre laquelle rien ni personne ne peut lutter. Elles parviendront à leur but. Elles sauveront le village, quoi qu’il leur en coûte. C’étaient elles les soldats à présent. Elles n’avaient plus rien des épouses soumises. Elles étaient les guerrières prêtes à tout pour rentrer en vie et avec de quoi faire vivre leur village.

De leur destination, elles ne savent que ce que les hommes ont bien voulu leur en dire, les hommes et les voyageurs de passage dans le village. Mais elles n’ont pas besoin d’en savoir beaucoup. Seule la certitude d’y trouver du travail et de l’argent leur suffit.

Plusieurs jours de marche leur seront nécessaires. Mais cela ne les effraie pas. Au contraire, elles ont besoin de ces heures pour affûter leur volonté, leur détermination. Elles ont besoin de ces heures pour se laver des restes de douceur et de naïveté de leur vie d’avant. Elles mettent ces heures de marche à profit pour s’endurcir. On pourrait presque voir la transformation s’opérer sous nos yeux. Plus elles se rapprochent de leur but, plus leurs corps se redressent. Les contours de leurs visages, doux et aimants dans les premières heures sont durs et tranchants à présent. La fatigue accentue les traits saillants. De mères, d’épouses, les voilà devenues amazones sans merci. Elles savent qu’elles n’ont que peu de temps pour réussir. 

Trois jours après leur départ, les voilà aux portes de la ville. Elles sont prêtes. Rien ne pourra leur résister. Elles survivront et avec elles, c’est tout un village qui renaîtra. Où sommes-nous? Qui sont-elles? Peu importe. Afrique, Amérique du Sud, Asie ou Europe, peu importe. Ces femmes n’ont pas de frontières. Leur destin ne connaît pas de langue. La volonté d’une femme est internationale. D’un simple bâton de rouge à lèvres en solde au dernier sac de riz distribué, c’est la même énergie farouche de la lionne qui l’anime... Tout n’est qu’une affaire de contexte.



03/06/2013
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