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La maison familiale, avril 2011

La maison dans laquelle j’ai grandi va être détruite. 35 ans d’histoire, de rires, de pleurs aussi, vont être rasés. C’est sur une soudaine impulsion que j’ai décidé de revenir de Vancouver. Traverser un continent et un océan pour quelques jours seulement, cela m’est apparu nécessaire. Pour participer au déménagement, certes, mais aussi, et peut-être surtout, pour dire au revoir à cette maison où sont tous mes souvenirs.

Ce matin-là, j’ai ramassé l’étiquette SNCF de ma housse de skis. J’ai lu cette adresse qui ne sera bientôt plus la mienne. Tant d’images ont surgi. La table de Noël, les grosses boîtes de lessive rouges couchées dans le salon, comme rempart dans nos batailles de western. Tant de souvenirs, amenant avec eux des sentiments variés, contradictoires, émouvants. 

Notre adresse a longtemps été « Le Fouilly ». Ce mot issu du patois local n’a pas grand-chose à voir avec son homonyme français. Pourtant, l’activité constante qui y régnait pouvait porter à confusion...

Dès le début, notre famille n’a pas été des plus conventionnelles. Dès le début, un joyeux fouillis s’est installé. 

 

À l’époque, nous sommes au début des années 70, il n’était pas courant, ni bien considéré dans ce petit village, d’épouser une « étrangère », veuve et mère de deux enfants. Quand je dis étrangère, je parle d’une citadine, d’une Parisienne. Car ma mère a débuté sa vie à Paris, et c’est à la suite du décès accidentel de son mari qu’elle a quitté la capitale. Figurez-vous qu’en secondes noces, elle a épousé son moniteur de ski ! Cette union ne s’est toutefois pas faite sans heurts.

Disons que la famille de mon père n’était pas vraiment disposée à accueillir ma mère... Mais passons. Je n’y étais pas et ne rendrais pas justice aux faits.

 

Mes parents, mon frère, et ma sœur passent les premières années de leur mariage dans un appartement faisant partie de la bâtisse familiale. En octobre 1975, quelques mois avant ma naissance, ils déménagent dans la Villa rose, située au Fouilly, adresse devenue 597, rue de Bellevue. 

 

Si cette maison abrite tous nos souvenirs, elle a également été un refuge, une terre d’accueil pour beaucoup de monde. La porte a toujours été ouverte et de nombreuses personnes savent où se trouvent les verres, comment se faire un café.

Cette tendance a commencé un an avant ma naissance...

 

Mon frère, qui était mon aîné de 9 ans, était en vacances sans mes parents, lorsqu’il se lie d’amitié avec un autre garçon sur la plage. Ce fut le début d’une amitié fraternelle qui a amené ce garçon à faire partie intégrante de la famille. Il habite à deux pas de chez mes parents depuis de longues années. Nous sommes donc 5 enfants, 3 filles et 2 garçons. 

 

On se gare où on trouve de la place. Il y a le transfo, la place à côté de la maison, ou devant le garage, en essayant de ne pas trop déborder sur la route. Le garage et se cave... Quel bonheur d’aller y choisir les confitures ou les bouteilles de vin ! 

Un premier escalier, puis un second. Si on vient en été, on aura la chance d’avoir une vue sur le jardin, où les couleurs et les parfums vous ravissent les sens. En toile de fond, la chaîne, comme la gardienne ancestrale des lieux. 

 

Longeons le balcon, puis marchons sur ces dalles, comme une marelle désarticulée pour arriver au tambour. La porte est toujours ouverte. Ici, pas de clé. Et en été, elle sera souvent béante. Au fond, le placard à conserves, où se cachaient les boîtes de crème de marron ou de lait Nestlé, qui réchauffaient les après-midi pluvieux de novembre ?

 

On entre dans la cuisine. Peu de lumière dans cette pièce, mais tant de vie ! La pièce maîtresse de la maison. Celle des repas familiaux et de ceux improvisés. Celle des apéros, des petits cafés et des grandes discussions. Les mots se mêlent aux odeurs ici. De l’odeur écœurante des tripes qui blanchissent, aux gâteaux qui cuisent, promesses de bonheur. Les carreaux embués de la vapeur des Cocotte-Minutes ou des fumets de confiture dans leur grande marmite de cuivre. Le pot-au-feu sur la table. Les poules plumées, une cervelle sur l’évier aussi...

Des enfants sous la table pour la galette des Rois. De la farine, des pâtes à tartes et des petites mains qui viennent en chaparder. Le placard et ses portes dessinées où tant de personnes y ont trouvé leur tasse pour un « Nes ».

 

Sortons de la pièce. Il y a encore beaucoup à découvrir. Le couloir et sa mythique table de téléphone... sous l’escalier, le cagibi. On y piochait un sac plastique, un savon de Marseille ou les décorations de Noël, et si vraiment, on le voulait, on y trouvait aussi l’aspirateur.

Au fond du couloir, le petit tambour et ses fragiles portes vitrées.

À droite, la lingerie. Caverne d’Ali Baba, dans laquelle seule la maîtresse des lieux savait y trouver les yeux fermés, le bouton, la veste de ski, le drap, le détachant dont on avait besoin. Elle y perdait aussi quelques cadeaux de Noël... Les comptes s’y réglaient. Les aveux, les excuses, les secrets, les coups de téléphone discrets.

 

Fermons cet antre et revenons sur nos pas. En face de la cuisine, le salon et la salle à manger nous invitent à des repas fastueux. Les rires résonnent encore, les bruits des couverts sur les assiettes. « On met les belles assiettes ». Les assiettes et les couverts de fête qui dormaient la plupart du temps dans le buffet. On étendait le molleton, puis une belle nappe sur la grande table massive en bois de pressoir. Du temps des communions, on rajoutait même une table pour accueillir tout le monde. Au fond, la petite bibliothèque, croulant sous le poids de son contenu et des sonnettes posées dessus, tenait compagnie au gros vent à blé, installé de l’autre côté de la fenêtre.

En hiver, les chaussures de ski se chauffaient devant le radiateur.

Dans le salon, le canapé et la télévision, déplacés chaque année pour le sapin de Noël. Les mots de discussions tardives enveloppées de fumée de cigarette flottent encore dans l’air et se cognent au lustre au-dessus de la petite table. À l’entrée, la commode. Chacun de ses tiroirs avait un rôle. Des masques de ski en extra, aux jeux, en passant par la pharmacie (et sa poudre laxative au goût d’interdit !).

 

Laissons là les pièces publiques et prenons les escaliers. 13 marches ou 14 selon où on commence. Au sommet, trône l’armoire blanche. Une nouvelle caverne où se trouvaient bien des trésors. Les portes peintes de la salle de bains s’ouvrent sur une petite pièce dont les murs ont longtemps porté les traces d’un feu adolescent et qui a terminé sa vie dans une douce atmosphère de lavande. 

Un couloir en L mène aux chambres. Deux petites ont passé de longues heures à écrire et dessiner sur le tableau collant du premier mur.

Une première chambre. Longtemps chambre d’amis, puis devenue chambre d’ado, puis de femme... Son papier peint aux petites fleurs délicates. De l’enfant de 12 ans à la femme de 34, les murs ont tant de secrets à révéler. Les rires, les pleurs, les angoisses, les heures à étudier, les batailles contre les souris venues grignoter les livres. Le refuge aussi. Puis des rêves de tout petits enfants sont venus peupler cette chambre souvent vide.

 

Continuons...

 

Le couloir se prolonge. Les étagères aux lourds livres reliés en cuir s’arrêtent devant la chambre des parents qui fait face à une autre. Prenons d’abord à gauche. Cette grande chambre qui a accueilli les 3 filles de la maison. D’abord l’une, puis les deux autres. Là encore, tant de secrets se tapissent dans les murs et les placards. Du chien accueilli dans le lit en catimini, aux bagarres violentes. Les rires complices aussi. Les arrangements « je te masse, tu me masses », qui finissaient souvent à sens unique... Le balcon où les heures passées à communiquer par talkie-walkie ou en morse avec des lampes torches avec les voisins d’en face ont laissé place aux premières cigarettes. Puis les sœurs ont grandi et chacune a eu son antre. Laissons donc les secrets non dévoilés où ils sont.

 

Au fond du couloir se cache la petite chambre. La chambre avec vue. La chaîne se révèle par les grandes fenêtres. Majestueuse. Étroite chambre où les deux petites ont démarré leur vie. Les cabanes sous les lits superposés, le toboggan sur les lits cassés. Les nuits éveillées aux sons des crises d’asthme aussi. 

À gauche de ce petit nid, la chambre des garçons. Le papier peint aux carreaux bleus et verts. Les posters de James Dean et Charles Bronson, celui plus osé de ce garçon et cette fille près d’une cascade. Les spots de couleurs. Une veste en jean au porte-manteaux. Deux lits qui se font face. Un antre dans lequel on pénètre en cachette pour fouiner son nez de petite fille dans les affaires d’ados... Quels moments d’exaltation en découvrant des choses interdites ! C’est la beauté des fratries.

Mais reprenons notre route.

 

Destination finale : la chambre des parents. Ce lit où on se faisait cajoler les petits matins. Des ongles qui nous grattaient le dos. Une maman qui nous faisait faire l’avion. Deux plateaux de petits-déjeuners fièrement portés certains dimanches matins. Cette photo professionnelle un peu triste dans lequel personne ne se ressemble vraiment. Ces photos maison où chacun des enfants y est plus naturel. Instantanés d’une vie.

 

Terminons la visite en sortant par le balcon de cette chambre. Le soleil y est souvent présent. Descendons les escaliers pour retrouver le jardin. Son cerisier, ses apéros en été, ses chasses aux œufs, ses siestes et glissades en hiver. On y descend par quelques marches inégales, sur lesquelles tombent les branches d’un églantier odorant. À l’abri du balcon des outils de jardin et des trouvailles en tout genre. Quittons cette maison par le jardin potager. À gauche le bouquet de céleri borde le royaume des courgettes énormes, et au fond, les framboises. À droite, les persils, les salades et les haricots. Tout le long de l’allée des petites fleurs et, surtout, les fraises... Le plaisir de les cueillir pour les engloutir aussi vite ! Au fond, la rhubarbe et la petite cabane qui a longtemps accueilli des jeux d’enfants. Derrière, le poulailler en perdition et un portique rouillé. Il y a bien longtemps que les poules ne caquettent plus et que les balançoires ne sont plus accrochées. Mais tous deux restent là, témoin du temps qui passe. En descendant l’escalier étroit, il faut faire bien attention aux voitures avant de traverser. La sortie est peu visible pour les conducteurs.

 

Voilà. Ce ne sont que quelques bribes de vie sur les 35 années passées dans cette maison. Un trou béant la remplace maintenant, avant qu’un nouvel édifice n’y soit construit.

 

Détruire pour mieux reconstruire. Une page importante de notre vie vient de se tourner. 

Comme si ma vie d’adulte allait vraiment commencer, maintenant que la maison dans laquelle j’ai grandi n’est plus. Le cordon est définitivement coupé. À presque 35 ans...

 



03/06/2013
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