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le défi de mes 30 ans

Décembre 2005. Ça y est, j’ai dit oui. J’ai accepté de tenter l’aventure de l’ultra-trail, enfin du Courmayeur-Champex-Chamonix. Depuis 2 ans, que nous massions les coureurs fous de cette épreuve, il faut dire que l’envie nous titillait. Si les 156 km nous semblaient inaccessibles, la création de l’épreuve de 86 km nous permettait quelque espoir.

Alors, oui, prise par l’enthousiasme, et séduite par l’idée de faire quelque chose de marquant avec G. pour nos 30 ans, j’ai signé.

Quelle folie ! Qu’est-ce qui m’a pris ? Je n’arriverai même pas à aller au bout de la première étape !

Chassons ce pessimisme et prenons les devants. Embarquée dans l’aventure, je tente de garder une certaine forme durant l’hiver.

La neige fond doucement, nous pouvons marcher quelques heures d’affilée. Peu à peu les randonnées s’allongent. Les jours passent. Je rassemble mon matériel. Je commande mes chaussures et attends, attends… Le 25 août approche…

D’un jour sur l’autre, l’exploit semble à notre portée, puis loin, très loin.

 

25 août 2006. Nous y voilà. Le bus nous conduit au départ. Je ne me rends pas vraiment compte de ce qui se passe. Le clan des marmottes se joint à la masse des coureurs. Je ne sais pas trop où je suis. Je n’ai aucunement l’impression d’être au départ d’un trail de 86 km, enchaînant plusieurs cols (4500 m de dénivelée positive).

Le départ est donné. Nous sillonnons les rues de Courmayeur. Le rythme est déjà soutenu. Je prends peur. Puis, très vite, et heureusement pour moi, nous nous trouvons devant un bouchon. Et oui ! Le trail nature. La course qui est censée te mettre face à toi-même débute par un formidable encombrement en pleine forêt. 1000 concurrents piétinent dans un sentier trop étroit pour contenir leur fougue et leur envie. Nous nous acheminons tranquillement vers Bertone, notre premier point de ravitaillement.

Sur le balcon, une agréable rencontre. M. est montée jusqu’à nous. Elle nous accompagnera un temps. Si cette surprise intervient très tôt dans notre aventure, elle n’en perd aucune saveur.

Le temps est magnifique. Un vrai régal, loin des conditions annoncées. Nous dégustons le paysage. Les couleurs en contraste, la lumière éclatante. Et un caillou, là au milieu de ma route. Je me sens pousser des ailes. Mais cette apesanteur n’est que de courte durée. Très vite l’attraction terrestre se manifeste. Les rhododendrons se rapprochent. Je les écrase lestement… Que serait la vie sans une bonne chute de temps en temps ? Heureusement, pas de casse. Je me reprends, et entame la descente d’un bon pas, suivie de mes fidèles acolytes.

Arnuva, deuxième ravitaillement. Tout va bien, les 3 marmottes affichent des mines radieuses. M. va nous quitter. Je me décide à faire un sort à l’un de mes sandwichs qui ressemble à quelque chose d’immonde. Une vague bouillie à l’odeur de banane ! C’est une des recettes qu’apprécie Papa l’hiver sur les pistes. Mais la chaleur et l’étroitesse de mes poches n’ont pas le même effet que la fraîcheur hivernale, sur la consistance des sandwichs ! G. ne cache pas son dégoût. Moi, ça va, je me régale. Devant nous, le Grand Col Ferret. Le morceau du tour. La plus longue montée, et une belle descente en perspective. La première montée m’effraie un peu. Mais, c’est sans compter sur mon amie, ma compagne de route. Elle démarre. Je lui emboîte le pas.

J’arrive au sommet de cette première portion, heureuse, très heureuse de l’avoir surmontée assez facilement. Merci G.. Le bien-être est tel que j’amorce la suite d’un bon pas, en tête. Je double, je double… Quelle griserie ! Et pourtant, je n’ai pas l’impression d’aller très vite. Je suis loin du rouge sur le cadran ! Le pied ! Je suis ravie d’être dans une si bonne forme. Au sommet, nous descendons à l’abri du vent pour attendre B., qui arrive quelques minutes après nous. Les gants sont de rigueur. Les 3 marmottes se lancent le cœur léger à l’assaut de la descente. Roulante, la descente. Nous nous faisons plaisir et nous sentons toutes bien. 3e ravitaillement : La Peule. Le réconfort d’une soupe chaude et d’un bon morceau de fromage.

Nous gagnons tranquillement la Fouly. On a un peu l’impression d’enchaîner les buffets ! Pendant les mois qui ont précédé la course, nous spéculions sur le fait de rester ensemble ou pas. Je m’étais résolue à en faire une bonne partie sans G.. Et pour l’instant, nous restons groupées. C’est génial. Même si l’on parle peu de ce que l’on ressent, chacune d’entre nous savoure ces moments simples, et le plaisir qu’il y a à partager un effort physique. Nous trottons une bonne partie du chemin qui relie La Fouly à Champex, car nous le savons long et interminable, si nous le faisons en marchant. Mon genou se manifeste un peu, mais je reste confiante. Praz-de-Fort, devant un garage, une table, de la soupe, des sourires. Nous picorons à nouveau.

La nuit est tombée. Nous repartons avec nos frontales. Nous attendions ce moment avec impatience. La nuit promet d’être magique. Le ciel est complètement clair. Une voûte étoilée s’allume au-dessus de nos têtes. Nous nous attaquons à la montée de Champex. G. prend la tête. Il faut dire qu’elle a une histoire avec cette portion. On la dirait faite pour elle. La voilà, à nouveau en pleine puissance, qui monte d’un pas plus que montagnard ! Je m’accroche, mais je sens que cette cadence entame quelque peu mes réserves. Nous arrivons à Champex. Des guirlandes éclairent la rampe d’accès au fort, où nous reprenons des forces et nous changeons, avant de nous confronter à une des épreuves les plus difficiles : la montée de Bovine. Je suis ravie d’être là, avec B. et G.. Nous sommes toujours ensemble. C’est un vrai réconfort et une vraie motivation.

Nous repartons dans la nuit froide. Le ciel est sublime. À l’entrée de la forêt, une étoile filante… Mon vœu ? Que cette étape se passe bien. Dans la première portion, je talonne G.. Ne pas perdre l’énergie. Pourtant, je sens une réelle baisse de forme, qui se répercute immédiatement sur mon moral. Dans la seconde portion, G. s’envole. B. et moi tenons un bon rythme. Je tiens, aidée par la présence de B. juste derrière moi. Ne pas mollir. Sinon, c’est la fin. Nous arrivons au sommet et retrouvons G., fraîche comme une rose ! Nous nous couvrons, pour essayer de contrer le vent froid qui nous assaille, et nous rejoignons le ravitaillement de Bovine. Sur le chemin, la vallée nous offre une féerie de lumières. « C’est beau une ville la nuit »… Moi, je n’arrive pas à en profiter réellement, tant je me sens diminuée. J’en suis toute surprise. La première partie a été un tel régal. Et je n’avais pas l’impression de griller mes cartouches ! Il va falloir se reprendre. Ce n’est pas l’environnement hostile de Bovine qui m’y aide. Nous avalons une soupe en 2 minutes, avant qu’elle ne refroidisse. Ah, le courage des bénévoles qui vont passer la nuit dans ce courant d’air ! Nous repartons pour une belle descente. Très vite, je me rends compte de mon manque d’énergie, de mon manque d’envie, et de ma douleur au genou ! Je serre les dents. Je prends la tête de la descente pour être sûre de ne pas lâcher. Je ne dis plus rien. Mauvais signe. Tout au long de la descente, je me tiens un monologue intérieur. Mes 2 mois discutent : « je suis au bout du rouleau, je n’ai plus de jus, j’ai tout donné. » - « mais tu ne peux pas arrêter à Trient. Tu n’es plus très loin, tu peux le faire » - « mais j’ai mal ! Tu peux comprendre ça ? J’ai mal et je suis fatiguée et mes doigts sont gelés » - « oui, mais quand même, tu peux faire un effort. En plus, les filles, elles, vont continuer. Tu te vois aller les accueillir sans avoir terminé ? ».

Nous arrivons enfin à Trient. Le moi-qui-veut-continuer semble avoir un peu pris le dessus. Avec un strapping et un anti-inflammatoire, ça devrait passer. La pause est vraiment salvatrice. La tranche de saucisson sur le pain est un réconfort incroyable ! Fatiguée, je rejoins le pôle des kinés, qui tentent une expérience marseillaise sur mon genou. Merci les gars. Je lutte pour ne pas filer sous une couverture. Mais mes copines m’attendent. Nous repartons. Les Tseppes. Pour la 3e fois de l’été, je démarre cette maudite côte suisse. Elle n’est pas très longue, mais cela suffit ! Je lâche mes marmottes assez vite, mais je garde un bon rythme. Dans les premiers virages, la tentation est grande de faire demi-tour. Mais, plus je monte, plus cette idée m’apparaît insensée. Continuer. Aller jusqu’au bout. Je terminerai ce trail, même si je mets beaucoup de temps, même si je dois le terminer seule. Au ravitaillement, mes chères marmottes sont là. Quelle joie ! La chaleur du brasier des bénévoles n’est rien à côté de celle de leur sourire. Je sens, et je sais, que je ne pourrai plus les suivre, ni en montée ni en descente. Je n’ai plus assez d’énergie et mon genou est très fragilisé. Mais qu’importe. Je sais que je finirai et cela me réjouit, au point que je me fiche de terminer seule. Nous repartons. Je les laisse filer, mais ne mollis pas pour autant. Je prends un réel plaisir dans cette descente. Je me régale du vent qui nous accueille côté français. Je scrute le ciel et en guette les signes de l’aube. Je me sens vraiment bien. Je suis seule, sans mes marmottes, mais ça n’entame pas mon moral. Je suis bien seule, en ma charmante compagnie ! J’envoie même quelqu’un leur dire de filer.

Aux premières lueurs du jour, j’atteins Vallorcine. Mon genou a tenu le coup ! Est-ce la ruse marseillaise ? Quelle surprise de trouver mes 2 marmottes attablées ! Je ne mange presque pas, je n’en ai pas envie. Nous repartons. G. m’a dit qu’elle a hâte que cela se termine. Je les laisse à nouveau filer. Je n’ai pas assez d’énergie pour suivre leur rythme et je sais que les descentes vont être très douloureuses pour mon genou. Je préfère terminer sans me ruiner ni le moral, ni le physique. Tant pis pour l’arrivée à 3. Essayer de les suivre serait trop éprouvant et je finirais par broyer du noir.

Je profite pleinement du spectacle du lever du jour. Une à une, les aiguilles rouges s’offrent au soleil. Je me régale. Je suis si heureuse d’être là, à ce moment précis. Je vais terminer et je me sens bien.

La descente sur Argentière calme un peu mon euphorie, tant mon genou me fait souffrir. Et je sais ce qui m’attend entre Argentière et Chamonix… Tant pis, il faudra bien y arriver. La vue est splendide, le soleil réchauffe l’air ambiant. Je tâche de profiter pleinement de ces joies simples… sur les plats, pour engranger de l’énergie positive dans les descentes ! Et j’en ai besoin. Je tente de passer outre la douleur et de courir, mais je n’y parviens pas. Je me débrouille et accélère le pas en montée et sur les plats pour compenser. Sur le chemin, les émotions m’assaillent. Les larmes ne sont pas loin. Je n’en reviens pas d’être arrivée au bout. Je revis la course.

Je suis si heureuse et fière de moi. Je repense également au bonheur d’avoir pu faire presque tout le trail à 3. Entre la douleur et la joie profonde, j’avance. Enfin, je quitte le chemin.… Un ami est là, à m’attendre. Cela me regonfle. Et puis, les derniers mètres sont à plat ! Nous entrons dans la ville. J’aperçois mes marmottes qui me font de grands signes. Il suffit de peu de choses pour oublier la fatigue, la douleur. Je me mets à courir. Ah, chères petites marmottes ! Vous m’aurez accompagnée jusqu’au bout ! Je remonte la rue jusqu’à l’arche de l’arrivée. Étant seule, je savoure pleinement, égoïstement, les applaudissements des spectateurs. Voilà, c’est fait.

Tout cela me semble encore irréel. Je ne me rends pas compte de ce que je viens de faire. À part à Bovine, je me suis sentie si bien (si j’oublie un peu mon genou !). Et, quelque part, je suis encore plus fière d’avoir failli abandonner. Failli seulement. J’ai réussi à prendre le dessus et à continuer sans démériter. Je n’ai pas beaucoup d’écart avec mes 2 marmottes, mais il est complètement légitime, si l’on tient compte de nos antécédents sportifs respectifs. Là encore, fierté.

Un ami m’avait laissé un message d’encouragement dans lequel il écrivait « n’oublie pas, où que tu t’arrêtes, nous t’aimerons quand même ». Je n’ai pas gagné plus d’amour de leur part en terminant. Mais j’ai réussi à aller au bout de moi, puis à me dépasser, et à relever un vrai défi. J’ai gagné un petit plus, un petit quelque chose qui restera en moi. Un phare supplémentaire, qui éclairera mes jours gris. Une fleur qui colorera mes jours de printemps. Une petite flamme qui s’ajoutera au feu qui sommeille en moi.

Enfin, au-delà de mon défi personnel, de ma fierté, il y a la joie profonde, puissante, pleine d’émotion, d’avoir vécu cette aventure avec G.. Encore une page ajoutée à l’histoire de notre amitié. Et quel chapitre ! Ce trail n’aurait pas eu la même saveur sans elle. À l’approche de l’arrivée, j’étais profondément émue, émue de ma course, et émue de notre histoire. Tout se mélangeait.

Sur ce même chemin, je me disais : « C’est ça la vie. Aller au bout de soi et être submergée par les émotions, de la fierté, à la douleur, de la joie à l’amour inconditionnel ». J’étais heureuse d’être sur ce chemin, à moitié ivre de fatigue et d’émotions, hésitant entre les larmes de joie et celles de la douleur. Me repaissant de tout ce qui se passait en moi, ne sachant plus ce qui me contentait le plus : avoir terminé ? L’avoir fait ? Avoir partagé tout ça avec mes marmottes ? Aller dormir ?!?!

 

J’aurais pu décrire chaque instant de ce trail. Il y aurait encore tant à raconter. Les rencontres, les encouragements, les sourires. Des mots échangés. Une femme malade au bord du chemin. Ces inconnus que l’on suit la nuit, loin des peurs urbaines… Mais, on ne peut répertorier ces instants aussi fugaces qu’inoubliables, comme on ferait l’inventaire d’une librairie. Et j’aime l’idée de frémir de plaisir à chaque fois que l’un de ces souvenirs me reviendra le temps d’un flash.

 

 

 

Le trail est un concentré d’émotions. En quelques heures, nous traversons de nombreux états différents. C’est en cela que l’on peut parler de concentré. On passe beaucoup de temps avec nous-mêmes. On se félicite de ce que l’on fait et on est transporté par l’euphorie de l’effort, des paysages et de l’ambiance. Mais on va aussi vers l’autre, le temps d’un regard, d’une parole. On partage tous quelque chose au cours de la marche. On est mu par une énergie similaire. L’envie est en chacun de nous, le plaisir aussi, malgré tout. Et quelle magie, lorsque nous sortons de notre face-à-face avec nous-mêmes pour, le temps d’une étoile filante, partager un sourire ! Lorsque des pas se rapprochent des nôtres, laisser quelques instants ses pensées pour s’ouvrir à celui ou à celle qui arrive. Ce type d’épreuve nous révèle notre individualité, tout comme elle nous rappelle notre humanité. 

 



31/03/2014
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