Un tabouret à un pliant...
Un tabouret à un pliant :
– T’as vu la chaise longue, derrière toi, comme elle est gaulée !
Le pliant répond :
- Oublie. Elle est hors de ta catégorie. Inaccessible. Il ne faut pas rêver. Les filles comme ça, ce
n’est pas pour nous.
- Et pourquoi pas ? Faut arrêter de se limiter sous des prétextes bidons. Qu’est-ce que t’en sais
que je ne pourrais l’intéresser ?
- Bah… Regarde-toi. Regarde-la. Y’a rien à ajouter.
- Et voilà ! Tu sais qu’avec des mecs comme toi, on n’arrivera à rien. Il faut oser, regarder loin et
haut. Sinon, quoi, on est condamnés à rester dans notre petit périmètre bien sécurisé ? Les
grandes découvertes ont été possibles grâce à des mecs qui ont osé aller au-delà des
apparences. « Think outside the box », man.
- Quoi ? « Fink outside quoi ? »
- C’est de l’anglais, ça veut dire « pense au-delà de la boîte », ne te limite pas, quoi.
- Oui, mais là, quand même…
- Quand même quoi ?
- Allez, arrête, tu crois p’t-être qu’elle pourrait te regarder ?
- Et pourquoi pas ? Je vais te dire, moi. Des filles comme ça, ça se la pète. Ça joue les grandes
dames. Ah ça, c’est sûr la première année, elles font sensation. Mais, après une saison au soleil,
la toile toute délavée, elles perdent un peu de leur superbe. Et puis, tu sais quoi, après s’être
fatiguées auprès des flambeurs, ces filles-là, elles recherchent la stabilité. C’est exactement ce
que j’incarne.
- Ah oui ? Explique-moi ça.
- C’est simple : tu peux me dire ce qu’il se passe pour elle, et comme pour toi si je peux me
permettre ?
- Euh…
- Déjà, à part s’asseoir sur vous, qu’est-ce qu’on fait ? Et puis, en fin de saison, on vous plie et on
vous met dans un placard ou contre un mur, parfois même sans protection ! Alors que moi…
- Oui, toi.
- Moi, on me garde toujours à portée de main, ou de pied devrais-je dire. On a toujours besoin de
moi. On peut s’asseoir sur moi, me monter dessus pour atteindre des choses en hauteur. Je
dépanne quand un invité imprévu se pointe. On peut même m’utiliser comme table !
- Ah ouais, je n’avais pas vu ça comme ça.
- Un vrai couteau suisse, je te dis ! Je suis l’allié de tous les instants. On peut toujours compter sur
moi. Stable, robuste, fonctionnel, toujours prêt à aider. Ces filles-là, elles en reviennent du
clinquant provisoire. Après quelques saisons, elles cherchent la fiabilité.
- C’est sûr…
- En plus, regarde sur quoi elle tient.
- Hein ?
- Ses pieds ! Bon, celle-ci n’est pas en bois pourri, mais bon, ces deux barres en alu qui se tordent
pour un oui ou pour un non, tu ne vas pas me dire que ça en jette. Ajoute à cela la qualité
douteuse de sa toile et tu vas voir si elle va faire la belle longtemps. Non, je te le dis, il ne faut
vraiment pas se fier aux apparences.
- Tu as peut-être raison.
- Bien sûr que j’ai raison. D’ailleurs, je ne vais même pas me fatiguer à aller lui parler. Vraiment, ça
n’en vaut pas le coup.
- Tu crois ? Parce que quand même, elle est canon. Si tu arrives à la séduire, tu serais le roi de la
terrasse.
- Mais, je le suis déjà ! Tu n’as donc rien compris ? Je suis inébranlable, intemporel, increvable ! Je
suis LE tabouret de la maison. Celui qui va voir défiler des générations et des générations.
- Tu n’y vas pas un peu fort là ?
- Mais non ! Tu ne comprends vraiment rien, hein ?
- Bah…
Des pas retentissent sur la terrasse. Des mains s’emparent du tabouret. Et le placent à côté de la chaise longue.
- Tu vois ? On a toujours besoin de moi.
- Je vois, je vois. Je vois aussi que tu t’es rapproché de la bombe.
- Quoi ? Ah oui, je n’avais même pas vu…
Une voix langoureuse s’adresse au tabouret :
- Hello, toi ? Alors, quoi de neuf ?
- Euh… Je… je…
Le pliant depuis l’autre bout de la terrasse :
- Ha ha ha !!! Le roi de la terrasse. Le couteau suisse intemporel. On dirait que t’en mènes pas
large devant celle qui n’en valait pas le coup ! C’est toujours pareil : ça se prend pour un cador et
au moment d’agir, y’a plus personne ! Moi, je suis là, dans mon coin. Je ne paye peut-être pas de
mines, mais au moins, j’arrive à aligner deux mots devant une belle fille.
Le tabouret :
- Aucun commentaire. J’ai les pieds qui flageolent.
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